Les servitudes d'utilisation des eaux courantes:

Les eaux courantes du domaine privé

Il s’agit de servitudes d’utilité publique régies par l’art. 644 du Code Civil. Celui-ci précise que «celui dont la propriété borde une eau courante autre que celle qui est déclarée dépendante du domaine public par l’art. 538, peut s‘en servir à son passage pour l’irrigation de ses propriétés ... Celui dont cette eau traverse sa propriété peut même en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre à la sortie de ses fonds à son cours ordinaire».

L’art. 538 visé par l’art. 644 précité mentionne notamment que les fleuves, les rivières navigables ou flottables qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée sont considérés comme des dépendances du domaine public. Dans ce cas, ce n’est plus le Code Civil qui détermine le droit et les servitudes, mais des textes de droit public.

La loi du 16 décembre 1964 dans son art. 35 et suivants par dérogation à l’art. 644 a réservé à l’état le débit affecté des cours d’eaux non domaniaux dont le volume a été augmenté ou diminué. Par conséquent, ces cours d’eaux privés sont à la fois régis par l’art. 644 et par des textes spéciaux.

Les conséquences sont les suivantes :

Le droit d’usage des riverains visé par l’art. 644 du Code Civil ne s’applique qu’aux eaux courantes suivant un écoulement naturel. Il ne s’applique pas aux eaux stagnantes telles les marées, étangs, mares, qui appartiennent au propriétaire des biens dans lesquels ils sont situés, même si leurs eaux se mêlent à des ruisseaux supérieurs.

De même l’art. 644 ne reçoit pas application en ce qui concerne les courants artificiels notamment les canaux privés. Ainsi une pente naturelle d’écoulement de l’eau amenant l’eau d’un ruisseau au canal, ne constitue pas sur son parcours une eau courante au sens de l’art. 644. Par contre, le droit d’usage des riverains prévu par l’art. 644 doit être reconnu si la canalisation constituait un aménagement d’un cours d’eau non domanial.

Le droit des riverains

Seul le propriétaire d’un bien bordant une eau courante peut exercer le droit d’usage des eaux courantes d’un cours d’eau non domanial.

Exemple : si la propriété est séparée en deux parties par une voie publique, seule la partie jouxtant le cours d’eau profiterait en principe de ce droit d’usage. Par contre, si la propriété est entièrement séparée de la rivière par un chemin public, le droit d’usage ne pourrait être exercé.

L’exercice des différents droits des riverains sur les eaux courantes non domaniales, bordant ou traversant leur propriété est réglementé par l’art. 97 du Code Rural.
Celui-ci précise que «les riverains n’ont le droit d’user de l’eau courante qui borde ou qui traverse leur héritage ..., que dans les limites déterminées par la loi. Ils sont tenus de se conformer dans l’exercice de ce droit aux dispositions des règlements et des autorisations émanés de l’administration».
L’exercice des droits des riverains prévu par le Code Rural porte principalement sur l’irrigation et le drainage.

Il y a lieu de dégager les principes posés par l’art. 644 et l’art. 97 du Code Rural.

L’art. 644 du Code Civil est considéré comme le droit commun et distingue deux cas :

- Premier cas : la propriété borde une eau courante.

Dans ce cas le riverain peut s‘en servir à son passage pour irriguer sa propriété.
La jurisprudence considère qu’il peut également l’utiliser pour le lavage, l’abreuvage du bétail, ou pour des besoins industriels sous la réserve de ne pas porter atteinte aux droits des autres riverains.

- Deuxième cas : la propriété est traversée par l’eau courante.

Dans ce cas, le propriétaire a un droit d’usage plus étendu puisque l’art. 644 ne nie pas l’usage à l’irrigation mais l’étend à l’usage dans son parcours sans autre réserve que celle de rendre l’eau courante à la sortie de sa propriété à son cours ordinaire.
La jurisprudence a jugé que le propriétaire peut modifier le lit du cours d’eau à son passage sur sa propriété, y établir des ouvrages ou des barrages.

L’exercice de cet usage des eaux dans les deux cas comporte des limitations :

Contestations, règlement d’eau judiciaires

L’usage des eaux, la notion d’utilité et l’exercice des servitudes qui en résultent, donnent assez fréquemment lieu à des contestations entre propriétaires.

L’art. 645 prévoit dans ce cas que «s’il s’élève une contestation entre les propriétaires, auxquels ces eaux peuvent être utiles, les tribunaux en se prononçant doivent concilier l’intérêt de l’agriculture avec le respect dû à la propriété ; ... et dans tous les cas les règlements particuliers et locaux sur le cours et l’usage des eaux doivent être observés».

Cet article donne donc compétence à l’autorité judiciaire pour établir des règlements d’eau.

La décision rendue en la matière a un caractère provisoire et est susceptible de révision à la demande des intéressés, sous réserve qu’ils établissent la nécessité d’une nouvelle réglementation.

L’opportunité d’un règlement d’eau est apprécié souverainement par le Juge qui a également le droit de déterminer les droits respectifs des parties, de régler le mode de jouissance des eaux, et d’ordonner les ouvrages destinés à garantir le libre exercice de leur droit aux intéressés.

L’existence d’un règlement administratif ne met pas obstacle à ce que l’autorité judiciaire ordonne des mesures propres à régler l’exercice des droits des riverains, dès l’instant qu’il n’apporte aucune entrave à l’exécution du règlement.

L’art. 645 ne s’applique qu’aux eaux courantes du domaine non domanial. Il ne concerne pas les eaux pluviales et les eaux de source.

Les contestations et l’établissement de règlement d’eau sont de la compétence des tribunaux judiciaires, même si la contestation privée et la conséquence de l’inexécution d’un règlement d’eau émanant de l’autorité administrative.

Le Juge est obligé de respecter des règlements particuliers, tels que conventions entre riverains, destination du père de famille, mais dispose d’un large pouvoir d’appréciation des circonstances de chaque cas. Il lui sera par exemple possible de reconnaître que le droit d’usage d’un riverain est frappé de prescription par le fait d’un autre riverain pendant plus de 30 ans, au moyen d’ouvrages extérieurs et apparents constituant une contradiction non équivoque au droit du premier.

L’irrigation

Pour l’alimentation en eau potable, pour l’irrigation et pour les besoins de son exploitation, toute personne physique ou morale qui veut user des eaux dont elle a le droit de disposer, «peut obtenir le passage par conduite souterraine de ces eaux sur les fonds intermédiaires dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future de ces fonds à charge d’une juste et préalable indemnité».

Il est important de préciser que les maisons, les cours et jardins attenant aux habitations ne sont pas soumis à cette servitude dite «d’aqueduc» pas plus d’ailleurs que les fonds dépendant du domaine public en particulier les routes, les rues, les chemins vicinaux.

Cette servitude s’applique non seulement aux eaux courantes, mais aussi aux eaux de toute provenance.

Elle peut être exercée pour toute utilisation des eaux telle que domestique, agricole ou industrielle.

La servitude d’aqueduc ne peut être exercée par la seule volonté du propriétaire bénéficiaire. Il est nécessaire qu’il existe un accord amiable ou une autorisation du Tribunal de Grande Instance.

S’agissant d’une servitude continue et apparente, elle pourrait aussi s’acquérir par prescription trentenaire.

La demande ne peut émaner que du propriétaire ou du locataire, du fermier ou de l’usufruitier. Il est nécessaire que le propriétaire ait lui-même le droit d’usage des eaux qu’il convient d’amener qu’elles soient ou non courantes. Le propriétaire riverain d’une eau courante qui possède un terrain plus vaste séparé du premier peut être autorisé à faire passer à travers les fonds qui le sépare le nécessaire à l’irrigation des terrains plus étendus lui appartenant au-delà de la propriété riveraine mais seulement sous réserve que la prise de cette eau ne cause aucun préjudice à l’irrigation des fonds inférieurs, et moyennant une préalable indemnité en contrepartie du droit de passage. Ce droit de passage n’est permis que par conduite souterraine.

Les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d’eau, de ses dimensions, de sa forme et les indemnités dues soit au propriétaire du fond traversé, soit à celui du fond qui reçoit l’écoulement des eaux sont portées devant le Tribunal de Grande Instance qui doit concilier l’intérêt de l’opération avec le respect dû à la propriété.

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